LE DRAME DE L'INCESTE
«Ma mère me dénonçait à mon père pour une bêtise que je n’avais
généralement pas commise. Il me frappait comme un fou et ensuite,
comme pour chercher à se faire pardonner, il venait se coucher dans
mon lit.» Témoignage.
L‘inceste, à l’origine, désignait un interdit de mariage entre père et fille, frère et soeur, cousin et cousine au premier degré, etc. Aujourd’hui, il désigne un forfait sexuel commis dans la famille sur un mineur ou sur une personne faible. Il y a inceste quand l’agresseur recherche sa jouissance en se servant de l’autre comme d’un objet. Un parent normal n’est pas excité sexuellement en caressant le bras d’un enfant, un père ou une mère incestueuse l’est. Dans ce cas, il ne s’agit pas d’une caresse, mais d’une agression. L’inceste n’est pas strictement physique, il est moral aussi. II commence dès que quelqu’un ne respecte pas la libre disposition de l’autre, dès qu’il viole l’espace de son intimité physique ou psychique. « Il y a des filles massacrées par leur mère qui les inonde de confidences sexuelles. Elles n’ont malheureusement aucune chance de faire valoir leurs droits devant un tribunal », explique Robert Neuburger, psychiatre et thérapeute de couple.
Témoignage: « De 6 ans à 13 ans, j' ai été victime de mon grand-père durant les deux mois d'été. »
Enfant, je n'ai rien dit à mes parents, pour les protéger. J' éprouvais une culpabilité énorme, je croyais que c' étais moi qui attirais cela. Je me sentais sale aussi parce que j'avais ressenti du plaisir. Grâce à mon deuxième thérapeute, j'ai appris qu' il était normale que je réagisse ainsi. J' ai voulu que tout le monde sache que j' étais la victime et que le sale était ce grand père. Ma mère, qui avait subi la même chose dans son enfance, a eu de la compassion pour moi. Mon père a été très accablé, il a voulu aller le tuer, je l' en ai dissuadé. J' ai porté plainte, le juge des Antilles a interrogé toute la famille, ma soeur a également été abusée, de même qu' une soeur de ma mère. Le dossier tient bon, il a été condamné, mais il a fallu que je me batte pendant longtemps. J' ai un compagnon depuis six mois. Avant,je croyais que je ne méritais pas l'amour, la tendresse, ni une sexualité saine. Pour moi, la thérapie et le procès sont indispensables, je veux aller au bout des choses pour me guérir complètement.
L ’inceste commence dès que quelqu’un viole l’espace de l’intimité physique ou psychique de l’autre.
Près de quarante ans après les faits, Elisabeth peine
encore à en parler: « ll n’y a rien de plus atroce que
l’absence de recours quand on est enfant et qu’on vit une
chose pareille. Quand j’évoque ça,je me sens mourir de
nouveau. » Elle avait conscience que son père faisait des
choses qu’il n’avait absolument pas le droit de faire.
Odile n’en avait pas conscience. A 5 ans, elle a été
victime d’agressions sexuelles de la part de son frère de
14 ans. Ce dernier agissait sans violence, il obtenait ce
qu’il voulait par persuasion, et, quand il a cessé, elle
a cru qu’il était fâché avec elle. « Plus tard, en
découvrant l’amour avec un compagnon,j’ai compris que mon
frère l’était servi de moi et je me suis sentie comme
moins que rien », dit-elle.
Les violences sexuelles dans la fratrie ne sont pas
rares. « Les parents ont une confiance aveugle dans les
relations fraternelles, au point de mettre dans la même
chambre un adolescent avec son petit frère ou sa petite
soeur. Au moment de la puberté, les pulsions sexuelles
sont intenses et elles peuvent chercher à se satisfaire
n’importe comment », avertit Robert Neuburger.
Un choc traumatique terrible
Les conséquences sont souvent plus dévastatrices quand la
victime est jeune et les abus répétés, mais le crime ne se
mesure pas à l’appréciation extérieure qu’on peut en avoir.
Il se mesure à la souffrance de la victime. Sentiment de
l’idée de ne pas s’être pas opposée à l’agresseur, terreur,
envie de disparaître, la victime se sent brisée de partout.
Une partie d’elle reste figée à l’époque où le crime a eu
lieu, comme morte. Le temps est gelé et son identité se
dissocie. D’un côté, elle refoule l’horreur pour que la vie
se poursuive. De l’autre, elle est plus ou
moins consciemment poussée à adopter des conduites
autodestructrices ou bien à s’identifier à l’agresseur, au parent aimé, et à devenir agresseur à son tour.
La mère d’ Élisabeth provoquait les déchaînements de
violence contre sa fille, suivis des « pardons »,
prétexte à des actes incestueux. Quand Élisabeth la
suppliait que tout cela s’arrête, elle se contentait de
lui répondre «Autrement, c’est moi qui prends! »
Le chaos des réactions en chaîne
« Elle n’a jamais reconnu la réalité de ce qui se
passait. Elle évoquait la violence de mon père, dont elle
avait peur. Elle m’a demandé de me sacrifier, en laissant
entendre que si elle subissait cette violence elle
risquait d’en mourir. Je n’ai pas pu faire autrement que
de céder à son chantage », confie Élisabeth.
II n’existe pas d’inceste sans mère « incestigatrices,
affirme Martine Nisse, thérapeute familiale. Cette mère a
généralement été exploitée sexuellement dans son enfance
et elle a souvent un partenaire violent. Chez 40 à 50 %
des femmes battues, un enfant est victime d’agressions sexuelles.
Sortir du silence
Dans les crimes incestueux, l’agresseur peut être mineur
ou adulte, homme ou femme, On parle encore peu des mères
incestueuses, mais le tabou est en train d’être levé. Les
mineurs sont (ou ont été) exploités sexuellement, ils
peuvent aussi avoir été témoins de violences conjugales
assorties d’excitation sexuelle. Les mères font revivre à
leurs enfants ce qu’elles ont vécu et « beaucoup utilisent
les soins du corps les transformer en agressions sexuelles.
Chez elles, ces pulsions remplacent la vie sentimentale»,
explique Martine Nisse. Les hommes, quand ils n’ont pas été
victimes, souffrent de carences maternelles. « Quand je
suis dans ma fille, c’est comme si j’étais dans ma mère »,
confie l’un d’eux à son thérapeute.
Dans leur esprit, il y a confusion entre leur fille et leur
mère, ils tentent d’opérer un retour vers ce qui leur a
manqué.
Parler est difficile pour les victimes, car l’agresseur
effectue un brouillage psychique d’autant plus important
qu’il se présente, d’une manière ou d’une autre, comme
représentant de la loi en exerçant son pouvoir. Elles ne
comprennent pas bien ce qu’elles subissent quand on leur
fait croire que c’est normal. Elles se sentent coupables
quand elles éprouvent une excitation physiologique. Elles
ont peur de faire voler leur famille en éclats en
dénonçant l’agresseur, surtout si ce dernier leur a
demandé de garder le silence.
La reconnaissance du statut de victime est pourtant le
seul moyen de sortir du gel du temps, de mettre un terme
aux conduites autodestructrices et d’empêcher
la reproduction des agressions. « Les adultes doivent
chercher de l’aide et réfléchir à ce qui pourrait arriver
à d’autres enfants de leur famille. Il y a trop de
petits-enfants abusés par un “gentil” grand-père qui a
déjà abusé de ses propres enfants ».
La procédure pour porter plainte
Me Pierre-Olivier Sur, avocat, auteur de «Nul n’est censé
ignorer la loi » (éditions Lattès, 2004), nous explique
quelle est la procédure à suivre pour porter plainte,
• La victime d’un crime ou d’un délit sexuel commis par une
personne ayant autorité peut porter plainte jusqu’à l’âge
de 38 ans (pendant vingt ans après sa majorité), quel que
soit son âge au moment des faits.
• Elle peut déposer sa plainte en écrivant au parquet.
Elle peut aussi demander à un psy, un médecin ou un proche
à qui elle se confie de faire un signalement au parquet.
• Une enquête préliminaire est diligentée par les gendarmes,
qui classent l’affaire ou saisissent un juge d’instruction.
Ce dernier mène son enquête, classe le dossier ou décide du
renvoi devant un tribunal correctionnel pour un
délit d'exhibition, harcèlement, agression), devant une
cour d’assises pour un crime (pénétration).
-
-
Une plainte avec constitution de partie civile (de la
part d’une association contre l’enfance maltraitée,
par exemple) permet de saisir directement le juge
d’instruction.
-
En l’absence d’aveux ou de preuves matérielles, la
justice se fonde sur son intime conviction. La parole
du plaignant contre celle de l’agresseur désigné peut
être source d’erreur.
-
L’instruction pénale, qui dure deux ans, permet
toutefois de rechercher des témoignages concernant la
souffrance du plaignant ainsi que d’autres faits
semblables dont l’agresseur désigné aurait pu se
rendre coupable.